Une mégazone chinoise d’importation de textile et maroquinerie sur 150 000 m2 à Maubeuge
Une société ou un homme d’affaire chinois qui promet, avec la bénédiction de Pékin, un investissement de 150 ou 200 millions d’euros et la création de centaines d’emplois au milieu d’entrepôts s’étalant sur 15 hectares ou davantage ainsi que les indispensables élus locaux qui veulent y croire, tels sont, après les projets avortés d’«EuroSity » à Châteauroux, dans l'Indre et de « TerraLorraine » en Moselle qui se seraient apparentés à de véritables petites villes chinoises, les ingrédients réunis de la même recette pour une troisième tentative d’implantation en France et au cœur de l’Europe d’une zone géante d’importation de produits chinois pouvant être éventuellement ensuite labélisés « made in France » puis exportés vers les autres pays d’Europe ou du monde.
Jian Chen, PDG d’une importante entreprise chinoise d’import-export, s’est installé au Portugal dès la fin des années 80 pour débuter sa carrière d’importateur de produits chinois à destination de l’Europe. Aujourd’hui, son projet qui concerne les industries du textile et de la maroquinerie, prévoit la création d’une trentaine de petits ateliers qui travailleraient chacun pour une marque différente avec une identité propre sur une parcelle de 15 hectares située à Maubeuge. L’investissement serait de 150 millions d’euros et 300 emplois devraient être créés.
Quel produit, quel marché ?
L’homme d’affaires préconise des vêtements de qualité mais le maire de Maubeuge Arnaud Decagny a évoqué plutôt du haut de gamme et le député du Nord (LREM) Christophe Di Pompeo qui porte le projet depuis deux ans, a renchéri avec le terme de luxe. L’ambition de créer une trentaine de marques spécifiques peut apparaître peu raisonnable lorsque l’on sait que l’élaboration de chaque univers spécifique nécessiterait de nombreuses années de travail et que le coût de création ou de relance d’une seule marque de luxe peut atteindre 200 millions d’euros. Mais l’étiquette «made in France» pourrait permettre de faire l’économie de ces investissements et suffirait peut-être à créer la valeur ajoutée souhaitée.
Le dirigeant chinois a d’abord mis en avant l’importance du réseau de son entreprise AC Winexpo qui compte 15 000 magasins en Chine mais dans une interview sur Europe1, le maire de Maubeuge Arnaud Decagny qui connait probablement ses réelles intentions, nous livre une autre stratégie : une sorte de "de showroom chinois" serait installé et "à l’intérieur de ce projet, il y aura des ateliers de confection, pour créer ou finaliser les modèles." Et cet investisseur souhaite s'appuyer sur le savoir-faire français en matière de textile haut de gamme, pour distribuer ses produits partout en Europe.». Par ailleurs, l’édile qui n’ignore sans doute pas que la région ne dispose plus de ces savoir-faire, ajoutait pourtant : « L'intérêt, c’est que ce soit des locaux qui soient embauchés pour travailler dans ces ateliers".
Un recrutement impossible de 300 couturières de confection « Haut de gamme »
En 2009, dans son rapport commandé par le ministère de l’industrie "Un plan pour la façon française", Clarisse Perrotti Reille prévenait : "La filière de la façon comptait 6 000 employés fin 2008 et perd jusqu'à 1 000 emplois par an." 10 ans plus tard, bien qu’il existe encore d’autres ateliers souvent plus modestes, le salon professionnel du Made in France au Carreau du Temple ne réunissait néanmoins qu’une trentaine de façonniers français du tricotage et de la confection ne représentant qu’un peu plus d’un millier d’emplois. La multiplication des marques Made in France observée lors du salon public MIF à la Porte de Versailles avec 225 stands consacrés à l’habillement, peut donner l’impression d’un dynamisme Industriel du secteur mais celles-ci s’appuient le plus souvent sur les ateliers existants et ne créent que très rarement des emplois de production en interne. Un nombre réduit d’ateliers fournit la plupart des nouvelles marques « made in France ».
Le gros des bataillons de couturières qui transmettaient les savoir-faire, est aujourd’hui à la retraite et la moitié de celles qui travaillent encore aujourd’hui, cesseront leur activité au cours des 8 prochaines années. Il est peu certain qu’il soit aisé de trouver sur le territoire français des couturières formées à la confection de haute façon, prêtes à quitter l’emploi qu’elles occupent chez des enseignes du luxe ou des petites entreprises de travail à façon pour rejoindre à Maubeuge, un encadrement chinois peu expert en ce domaine.
Le recours à la formation maintenant envisagé par le Pôle emploi de Maubeuge peut sembler offrir une alternative mais à une époque déjà lointaine où de nombreuses écoles existaient, quand les gestes et les savoir-faire étaient patiemment transmis dans des centaines d’ateliers, la maitrise de l’ensemble des étapes de confection d’un vêtement de haute-façon exigeait de longues années d’apprentissage pour atteindre l’excellence. Aujourd’hui, certains de ces savoir-faire ont disparu. Pour exemple, celui de la fabrication d’un costume haut de gamme qui nécessitait cinq années de formation s’est évaporé avec la fermeture en 2007 de la dernière usine, située à Poix du Nord. Actuellement, des ateliers qui disposent encore de savoir-faire, peinent à recruter un effectif supplémentaire de quelques personnes. Il est certes possible de former rapidement plusieurs centaines d’employées qui apposeraient des étiquettes sur des sacs, renforceraient des coutures et des boutonnières de vêtements « Made in China » ou participeraient occasionnellement à la confection d’articles mais pourrait-on dès lors encore parler de fabrication française de bonne qualité, haut de gamme ou luxe.
Volume d’importation d’articles d’habillement et de maroquinerie
Le projet d’origine qui prévoit un effectif de 300 couturières qualifiées installées dans 30 ateliers, ne nécessiterait qu’une superficie de 5 à 10 000 m2 et la production journalière ne pourrait atteindre, selon la nature et la finition des produits, que quelques m3 ou dizaines de m3 d’articles haut de gamme ou luxe. On peut alors s’interroger à propos de l’acquisition d’un volume disponible de plusieurs centaines de milliers de m3, susceptible d’accueillir le contenu d’une dizaine de milliers de containers pouvant déverser plus de 100 000 palettes de vêtements et maroquinerie. Mais si le projet s’oriente finalement vers un recrutement de centaines de couturières débutantes dont la tâche consisterait, à « finaliser» une cinquantaine ou une centaine de milliers de vêtements et de sacs chaque jour, on comprend mieux la nécessité d’une surface de 150 000 m2.
Un danger pour les filières de la fabrication française
Un afflux sur le marché mondial, de dizaines de millions de sacs et vêtements provenant de Chine, estampillés ensuite « Made in France » et présentés comme des articles haut de gamme ou de luxe puis vendus à bas prix, désorienterait un peu plus les consommateurs. Cette concurrence déloyale envers les derniers façonniers et les enseignes qui fabriquent encore une part ou la totalité de leur production en France, pourrait déstabiliser un peu plus une filière de la haute façon déjà réduite comme peau de chagrin. Les conséquences d’une dévalorisation de l’image de savoir-faire français ne se limiteraient pas à un affaiblissement du leadership de la France en matière de mode. La réputation de l’ensemble des filières de la fabrication française en souffrirait et à terme, de nombreux emplois seraient fragilisés et des métiers pourraient encore disparaitre.
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